Le plaisir féminin, vers une révolution de la sexualité des femmes
C'est un sujet devenu central dans les questions de sexualité et, plus généralement, dans les problématiques de société actuelles. De nombreux ouvrages s’y consacrent ; des séries, comme Sex Education produite par Netflix, l’abordent et participent à son processus de normalisation. La satisfaction féminine gagne en visibilité, car, à travers elle, ce sont des questions d’égalité des genres qui se posent. En effet, dans un contexte de domination patriarcale, la lutte féministe et l'émancipation sexuelle des femmes passent inévitablement par la réappropriation des femmes de leur corps et de leur épanouissement sexuel. Mais alors, que recouvre précisément l’expression « plaisir féminin » ? On en parle dans cet article !
Plaisir et masturbation : la réconciliation au féminin ?
La question de la masturbation féminine est cruciale car elle illustre parfaitement le tabou qui entoure le plaisir féminin. Contrairement aux pratiques masturbatoires masculines, qui sont perçues comme normales et dont les représentations sont très présentes dans la société, le plaisir solitaire féminin, en raison de milliers d’années de stigmatisation, a toujours revêtu un caractère honteux et sale. La masturbation féminine reste bien souvent cachée : on parle pudiquement de «caresses». Et pour cause, historiquement, la sexualité solitaire a longtemps été perçue par la médecine et par la religion comme une déviance, un vice moral qu’il faudrait soigner.
Aujourd’hui, la masturbation et, plus généralement, le plaisir de la femme sortent peu à peu de l’ombre, signe de l’évolution des mentalités. D’après une étude Ifop publiée en 2019 (1), 76 % des femmes reconnaissent aujourd'hui leurs pratiques masturbatoires, contre 42 % en 1992. Aussi, la popularité grandissante des sex-toys, notamment celle des stimulateurs clitoridiens tels que le Womanizer, atteste du changement des mœurs quant aux pratiques masturbatoires féminines. Selon la même étude, près d’une Française sur deux (43 %) admet en 2019 avoir déjà utilisé un vibromasseur, contre un peu plus d’une sur trois en 2012 (37 %) et à peine 9 % il y a douze ans, en 2007. Comme le souligne Virginie Girod, docteure en histoire et spécialiste des sexualités, « les jouets sexuels comme le Womanizer participent d’une certaine manière à cette conquête du corps et du plaisir. » (2).
La nécessité de déconstruire des mythes autour du plaisir féminin
Le tabou de la masturbation féminine est lié aux différentes croyances scientifiques de l’époque tel que le mythe de « l’orgasme vaginal » théorisé par Sigmund Freud au début du XXème siècle et dont l’héritage est encore prégnant dans notre société actuelle. En effet, ce dernier a largement contribué au processus de suprématie masculine sur la sexualité des femmes en distinguant deux types d'orgasme : « l'orgasme clitoridien » qui serait associé au plaisir « immature » ou « infantile » des jeunes filles, et « l'orgasme vaginal » qui renverrait au « vrai orgasme » de la femme dite « mature ». Ainsi, pour être comblée sexuellement, la femme aurait nécessairement besoin du sexe de l'homme. Le clitoris devient alors tabou car perçu comme responsable d'une dysfonction sexuelle chez la femme. Cette théorie freudienne fut bien heureusement invalidée par la suite . En effet, lorsqu'il y a pénétration, « l'orgasme vaginal » est en réalité un orgasme clitoridien. Le clitoris ne se limite pas à sa partie émergée ; il encercle le vagin. Ainsi, les sensations ressenties pendant la pénétration proviennent de la stimulation interne du clitoris. L’orgasme dit “vaginal” est un mythe, puisqu’en réalité, tous les orgasmes sont clitoridiens.
La reconnaissance du clitoris comme un enjeu d’égalité des genres
Selon la gynécologue Odile Buisson, « le clitoris est probablement la terreur des Homo sapiens, car il faut savoir que 130 à 150 millions de femmes ont été excisées dans des conditions épouvantables ». L’excision est le reflet des inégalités de genre car il s’agit de contrôler le corps des femmes en les privant de plaisir intime. Le clitoris peut alors être perçu comme le symbole de l’oppression sexuelle des femmes. Par exemple, il apparaît depuis longtemps comme le grand absent des planches d'anatomie du sexe féminin. Et lorsqu'il est représenté, il demeure bien souvent incomplet. Le clitoris est généralement représenté uniquement à travers son « capuchon » mais cet organe érectile possède en réalité des racines qui encerclent l'entrée du vagin.
C'est entre 1998 et 2005 qu'une urologue australienne, Helen E. O'Connell, se penche sur la question de l'invisibilisation du clitoris par la sphère scientifique et publie une compilation de ses articles scientifiques concernant son anatomie. Elle publie ses résultats dans une démarche critique et dénonce une production scientifique de savoirs médicaux anatomiques biaisée. Et c’est seulement en 2005 que la première image précise de cet organe féminin fut révélée par résonance magnétique.
Le clitoris, seul organe uniquement dédié au plaisir, est cependant toujours très méconnu. Selon un rapport sur l’éducation sexuelle remis en juin 2016 par le Haut Conseil à l’égalité (3), « un quart des filles de 15 ans ne savent pas qu’elles possèdent un clitoris et 83 % d’entre elles ignorent sa fonction érogène ». Ce n’est que depuis 2017 que le clitoris est correctement représenté dans une édition de manuels scolaires de biologie.
La norme des rapports hétérosexuels : l’intimité comme lieu de reproduction des rapports de domination
La sexualité au sein des couples hétérosexuels met peu en avant le plaisir des femmes. Dans son ouvrage intitulé Au-delà de la pénétration, Martin Page invite à s’interroger sur les habitudes sexuelles dominantes et étudie la sexualité dans les relations hétérosexuelles à l’aune de la question de la domination patriarcale. En effet, dans une relation hétérosexuelle, l’acte sexuel est largement tourné vers l’homme et son plaisir, la pénétration se retrouve au centre du rapport intime. Le reste étant qualifié de « préliminaires », soit ce qui « précède le fait principal ». Or, seulement 20 % des femmes ont un orgasme uniquement grâce à la pénétration. Selon l’étude Ifop publiée en 2019, 50 % des femmes aimeraient donner plus de place aux autres formes de sensualité.
La pénétration étant le climax du rapport hétérosexuel, ce dernier se termine souvent avec l’éjaculation, lorsque le plaisir de l’homme est atteint. La pénétration apparaît alors comme une forme de domination parmi tant d’autres. Selon la théoricienne du féminisme Andréa Dworkin, « Le coït est habituellement décrit et compris comme une forme ou un acte de possession par lequel, durant lequel, à cause duquel un homme investit une femme, la couvrant physiquement et la maîtrisant en même temps qu’il la pénètre (…) » (4).
Pour Martin Page, le caractère politique de la sexualité dans notre société est évident : « Nos histoires de verge et de vagin sont intimement liées à l’histoire des structures politiques dans lesquelles nous vivons et on ne changera pas l’une sans l’autre. Il est temps que la sexualité soit le lieu de l’imagination et de la pensée. »
Chez Perdième, nous aimons voir le verre à moitié plein : une vraie révolution est en cours pour dépoussiérer et déconstruire les schèmes d’une sexualité qui pendant des millénaires n’a su valoriser que la reproduction et le plaisir masculin. La satisfaction sensuelle et sexuelle des femmes, qu’elle soit solo ou non, commence enfin à se faire entendre.
Oh ouiiii !!!!!
Écrit par Inès Perrein
Sources:
- Ifop, 2019, Où en est la vie sexuelle des françaises en 2019, https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/02/116130_Ifop_ELLE_Mag_2019.02.014.pdf
- Womanizer : l’histoire du sextoy qui révolutionne le plaisir féminin. (2021, 4 janvier). Madame Figaro. https://madame.lefigaro.fr/bien-etre/womanizer-histoire-du-sextoy-qui-revolutionne-le-plaisir-feminin-clitoris-311220-194296
- Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, 13 juin 2016, Rapport relatif à l’éducation à la sexualité, https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_education_a_la_sexualite_2016_06_15-4.pdf